samedi 23 décembre 2006
Pink Floyd
Contrairement à une croyance tenace et typiquement française, Pink Floyd n’a jamais signifié «flamand rose» («flamingo» en anglais), ce sont deux bluesmen – Pink Anderson et Floyd Council – qui, en 1965, permettrons à quelques étudiants en architecture de donner un nom définitif à leur formation. Au début simple écho des nuits psychédéliques londoniennes, le patronyme sera bientôt mondialement associé à l’innovation sonore, source de tubes planétaires et hypnotiques, creuset des noces chimiques du rock progressif ambiant et du blues, marqueur indélébile d’une génération aux yeux dans les nuages. Au réveil restera un logo : celui d’une des plus grandes entreprises de concerts, show lumineux, pyrotechnie et autres décors gonflables des années 80...
Roger Waters fait la connaissance de Nicolas Mason et de Richard Wright en 1962, à l’école polytechnique de Regent street, à Londres. Passionnés de musique, ils forment vite un groupe dont le nom, des Sigma Six, Screaming Abdabs ou Abdabs jusqu’aux Tea Set, évoluera au gré du va-et-vient des amis qui l’intègrent. Le répertoire est essentiellement composé de reprises de blues comme «Louie, Louie» ou « Roadrunners ». En 1966, Roger «Syd» Barrett, un ami de Roger Waters, intègre le groupe : tous deux natifs de Cambridge, ils y ont fréquenté les mêmes établissement scolaires. Avec son arrivée, le guitariste Bob Close étant vite rappelé à ses études par son père, le groupe se stabilise et Peter Jenner, un jeune étudiant en économie fasciné par le groupe, devient leur premier manager.
Le Pink Floyd avant-gardiste des sixties présente un cocktail vestimentaire de chemises de satin, foulards, lunettes Oliver Goldsmith, bottes Gohill, il développe un blues psychédélique, ouvert à l’improvisation (les morceaux peuvent atteindre 30 minutes) sur fond de diapositives ou des fameuses projections sorties du labo de Mike Leonard, du Hornsey College of Art (un de leur ancien professeur). On est plus proche du happening arty que du concert de rock, les effets sonores et visuels procurent un état d’ivresse et une sensation d’envol qui bientôt seront obtenus par des voies bien plus artificielles. Les prestations de Pink Floyd à la All Saints Church, dans les rendez-vous branchés de la Roundhouse ou au night-club l’UFO, en font rapidement un des groupes fétiches du «swinging London», il est totalement assimilé par un mouvement psychédélique en plein essor. Le groupe, Barrett mis à part, reste pragmatique, Nick Mason : «Le monde psychédélique était autour de nous, mais pas en nous.».
En mars 1967, sort le single «Arnold Layne», rapidement suivi par «See Emily Play» qui se hisse à la sixième place des charts. Déjà des signes de faiblesse apparaissent chez Syd Barrett, qui s’adonne de plus en plus aux drogues : herbe, LSD… Son état empire comme l’explique Peter Jenner au journal Le Monde en 2001 : «Le succès du single «See Emily Play» et la célébrité l'ont profondément perturbé. Nous avions besoin d'un deuxième tube. La pression est devenue terrible pour lui, entre les interviews, les séances photo, les tournées, les enregistrements. Nous comptions sur lui sans nous rendre compte à quel point il était fragile.». La première tournée américaine qui suit tourne à la catastrophe, Barrett devient imprévisible : il arrive en retard, s’arrête brutalement de jouer… Les dernières dates sont annulées. C’est dans cette atmosphère que sort l’album The piper of the gates of dawn, littéralement porté par l’énergie créatrice d’un Barrett aux vertiges enfantins et aux textes insolites, proches de la science-fiction. Waters, Mason et Wright souhaitent trouver un musicien capable de remplacer Barrett lors des concerts et le laisser tranquillement composer chez lui. Ils pensent d’abord à recruter Jeff Beck mais préfèrent contacter David Gilmour, ami d’enfance de Syd, de Cambridge lui-aussi et guitariste expérimenté, avec déjà plusieurs groupes à son actif. La proposition de jouer dans un groupe déjà signé ne se refuse pas. David, en plus d’être un guitariste doué, reproduit parfaitement le jeu et le timbre de voix de Syd. Très vite Syd va être volontairement oublié chez lui, jusqu'à être définitivement poussé vers la sortie : le 6 avril 1968, Syd Barrett quitte définitivement Pink Floyd en compagnie de Peter Jenner qui ne croit plus guère au groupe désormais privé de son leader.
La formation elle-même entre dans une période de doute sur son avenir. Syd en était l’âme créatrice : il avait composé l’essentiel des titres. Le nouveau Pink Floyd doit se mettre rapidement au travail sous l’impulsion d’un nouveau manager, Steve O’Rourke. En 1968 sort l’album A Saucerful of Secret (certains y voient l’appel de détresse S.O.S….). Dans la continuité de l’album précédant, il révèle surtout les qualités d’écriture de Waters qui repousse les limites du groupe avec le fascinant «Set the controls for the heart of the sun», l’ensemble reste homogène, malgré «Jugband Blues», dernier et brillant délire musical composé par Syd Barrett, chorale de l’Armée du Salut à l’appui.
En 1969, le groupe doit encore confirmer son identité. Amorçant un virage vers le rock progressif, il entre dans une période d’intense gestation, faite de travail et de recherche. Il commence par s’orienter vers la composition de musique de films (More de Barbet Schoeder et Zabriskie point de Michelangelo Antonioni), puis, avec la sortie du double album Ummagumma, constitué de quatre compositions (une par membre), il va dévoiler une orientation expérimentale à l’extrème. En 1970, avec Atom Hearth Mother, dont la célèbre jaquette à la vache est réalisée par le studio Hypgnosis de Storm Thorgrrson, une recomposition se dessine derrière la pompe des chœurs et des cuivres : tempo lent, percussions, voix douces, guitares slide, très aériennes, nappes de synthétiseurs... Pour cet album, le groupe collabore avec Ron Geesin – grand prêtre américain de la musique électronique. Malgré un abord difficile (le titre éponyme occupe une face entière du LP), il remporte un certain succès au Royaume-Uni et obtient un disque d’or en France.
Les deux années suivantes, la charge de travail va en augmentant. En 1971, sort l’album Meddle, au style cette fois plus abouti. Ce qui n’était encore qu’addition d’ingrédients dans Ummagumma prend substance dans les exercices hypnotiques de One of these days et surtout d’«Echoes», véritable mini symphonie électro-rock. Vient ensuite le tournage du film Live at Pompéi, d’Adrien Maben, qui fera beaucoup pour l’association de Pink Floyd aux grands lieux historiques, suivi par la réalisation de la musique du film La vallée de Barbet Schroeder, lui-même accompagné par la sortie de la B.O. assez passable d’Obscured by Clouds. Le groupe tourne beaucoup, en France, avec les ballets de Rolland Petit, sur une scène surélevée dominant les danseurs et leurs entrechats sur «Echoes», en Australie, au Japon, en Angleterre. Il se taille une réelle réputation de perfection technique, avec notamment l’utilisation de la quadriphonie. Presque la gloire, mais pour le sommet, il manque encore quelque chose…
L’explosion a lieu en 1973 avec l’album qui forgera définitivement la célébrité du groupe et leur ouvrira les portes des USA. The Dark Side of The Moon envahi les charts et pour bien des années : 40 millions d’exemplaires vendus, une présence de plus de 800 semaines dans le top 200 US. Opus phénoménal et novateur, bénéficiant des plus grandes avancées techniques de l’époque : quadriphonie, dolby, enregistrement sur 16 pistes (il fut longtemps du meilleur ton de l’utiliser pour tester les chaînes HI-FI), il présente la décomposition d’une œuvre globale (même si ce n’est pas tout à fait un concept-album) en une somme de morceaux très abordables, faits de la plus pure essence de leurs expériences passées. Les effets sont plus que pertinents, le groupe atteint une aisance telle qu’il peut encadrer des soli de voix ou de saxo qui donnent une dimension humaine, voire universelle, à l’album. La gestation fut longue (on voit dans Live at Pompéi des séances de travail sur des morceaux comme «Eclipse») mais le succés est planétaire, reste maintenant à l’assumer.
Le succès de The Dark Side of the Moon est tel que le groupe lui-même se rend compte que la barre est maintenant mise très haut. Le Floyd digère son succès en s’adonnant à de nouvelles activités : publicité, productions… En 1976, ils se portent acquéreur d’un bâtiment au 35, Britannia Row où ils installent leur propre studio, leur matériel de sonorisation et d’éclairage qui devient de plus en plus volumineux et… un billard, outil essentiel au processus créatif de Roger Waters. Nick Mason produit l’album Rock Bottom de son ami Robert Wyatt en 1974, puis Chanal de Gong (il continuera dans cette voie et produira également, en 1978, Music for Pleasure des Damned). David Gilmour produit de son coté Blue Pine Tree, du groupe Unicorn. C’est également l’épique épisode «Gini», où Steve O’Rourke négocie une série de clichés publicitaires au Maroc qui cachent en fait un véritable contrat : une série de concerts en France avec le sponsor à l’affiche, alors que le groupe n’est pas prêt. Ajoutez que l’hexagone 70s assimile très mal rébellion rock et capitalisme… Le groupe perd une part de sa crédibilité aux yeux du public, malgré les 50000 livres reversés à une association caritative.
1975 : voilà deux ans que les fans attendent un nouvel album. Face à l’enjeu le groupe est perfectionniste, les enregistrements sont considérés comme médiocres, les compositions de Waters comme «You Gotta be Crazy» (qui deviendra «Dogs» sur Animals) sont refusées par les autres membres. Etrangement, c’est le fantôme de Syd Barrett qui va montrer le chemin, au travers des recherches de Gilmour qui inspirent à Waters Wish You Were Here, album planant et épuré, flottant entre absence du génial disparu et critique de l’industrie du disque. Roger Waters, qui compose l’essentiel des morceaux, s’impose de plus en plus comme leader. Personne ne souhaite en discuter car le succès du groupe offre aux musiciens une aisance financière, et permet la réalisation de leurs projets personnels : albums solo, productions, acquisition de véhicules de luxe, sport automobile, voiliers («Money, it's a gas grab that cash with both hands and make a stash, new car, caviar, four star daydream »).
Roger Waters confiait à Philippe Costantin en janvier 1976 «J’aimerai bien enregistrer «You Gotta Be Crazy» et «Raving and Drooling», qu’on a joué sur scène aux States, et puis d’autre choses.». Ce vœux sera exaucé en 1977, avec un album plus rock, Animals, seul album du groupe enregistré à Britannia Row, où le cynisme de Waters expose une humanité en castes, comparables aux espèces animales. Ses compositions laissent à peine une légère participation à Gilmour pour quelques solos de guitare et sa personnalité pèse sur le groupe : la chute est amorcée. La tournée qui suivra verra des records d’affluence et associera définitivement Pink Floyd aux concerts gigantesques, avec grand renfort de pyrotechnie ou de personnage gonflables (le célèbre cochon Alfie en l’occurence).
Pour des raisons fiscales, le groupe quitte le Royaume-Uni pour s’exiler à l’étranger. C’est ainsi que débute en 1979, en France, la préparation du nouvel album de Pink Floyd. Roger Waters présente les deux projets sur lesquels il a travaillé : The Wall et The Pros and Cons of Hitch-Hicking. Le choix se porte sur The Wall et scelle la rupture définitive du groupe. C’est un enregistrement sous tension, Rick Wright se propose de co-produire l’album, mais son attitude désinvolte exaspère le leader. Il explose littéralement quand Wright refuse d’enregistrer sa partie de clavier sous prétexte qu’il ne veut pas écourter ses vacances : ce dernier est renvoyé sur le champs. Rick Wright accepte sans mot dire, les enjeux financiers autour du groupe sont devenus énormes, il sera désormais simple musicien du groupe. L’album est toutefois le deuxième grand succès planétaire du groupe, tout particulièrement avec le single «Another Brick in the Wall, Part 2» au slogan «we don’t need no education, we don’t need no thought control» qui sera repris par les mouvements étudiants d’Afrique du Sud. Le double album se vend à plus de 12 millions, il est numéro 1 au USA et en Grande-Bretagne. Lors du concert, le vrai groupe est doublé par Snowy White, Willie Wilson, Andy Brown et Pete Wood. Ces derniers portent des masques représentant les visages des vrais musiciens du Floyd. Au fur et à mesure du concert le groupe est séparé du public par l’édification d’un mur qui s’effondre à la fin du concert. En 1982, le disque est difficilement porté sur écran par le réalisateur Alan Parker, les rapports entre Parker et Waters étant très tendus. C’est Bob Geldof, le chanteur des Bottown Rats, qui tient le rôle de Pink. Le film fait sa sortie mondiale lors du festival de Cannes, hors compétition.
En 1983, le conflit n’est pas qu’aux Malouines : dans le studio où est enregistré The Final Cut, qui peut être quasiment assimilé à un album solo de Roger Waters, le divorce se précise. En 1984, chacun y va de son propre projet afin de prendre du recul et vite oublier les dernières perturbations ; David Gilmour sort l’album About Face, où il est accompagné de Pete Townsend à l’écriture, Jon Lord aux claviers et Jeff Porcaro à la batterie ; Rick forme avec Dee Harris le groupe Zee et sortent l’album Identity. Quand à Roger c’est avec Eric Clapton à la guitare qu’il enregistre à Abbey Road son fameux projet The Pros and Cons of Hitch-Hicking. Mais c’est reculer pour mieux sauter dans les abysses des procès et autres querelles juridiques. 1985 : Roger Waters dénonce le contrat qui l’uni à Steve O’Rourke, pour finalement annoncer en décembre à EMI qu’il quitte le groupe. De 1985 à 1987, c’est le droit d’utiliser le nom de Pink Floyd que les musiciens vont se disputer par avocats interposés. La justice donne raison à David Gilmour et à Nick Mason : Pink Floyd ne compte plus que deux membres.
Dès 1986, David Gilmour et Nick Mason avaient commencé sur l’Astoria, la péniche studio de Gilmour, l’enregistrement de leur futur album, plutôt orienté pop-song, en compagnie de Bob Erzin. Le procès étant achevé, le nouvel album de Pink Floyd A momentary lapse of Reason peut sortir, il est aussitôt suivi par une tournée mondiale débutant le 12 septembre 1987 à Montréal. Cette tournée fleuve avec plus de 4 millions de spectateurs au total est couronnée par la sortie d’un double album live Delicate Sound of Thunder en 1988, dont il sera vendu plus de 11 millions d’exemplaires : Pink Floyd, même à deux, accompagné de requins de studios, dont Rick Wright, n’a pas perdu de son aura aux yeux des fans, les billetteries sont dévalisées, les stades se remplissent, les albums se vendent comme des petits pains : welcome to the machine.
En 1994, après 6 ans d’absence, Pink Floyd et son grand orchestre reprend la même recette : album studio – tournée mondiale – album live - avec en prime et sans grimaces la participation financière d’un constructeur automobile allemand comme sponsor. Pink Floyd à trois : suite au départ de Roger Waters, un nouveau contrat a été signé pour créer la société Pink Floyd, qui réintègre Rick Wright aux claviers. C’est l’album The Division Bell suivi par le double live Pulse en 1995. L’entreprise se porte bien, elle édite en 1992 le coffret Shine on qui regroupe 7 albums majeurs des Floyd (en oubliant le magnifique Piper at the Gate of Dawn mais sans omettre le mineur A momentary Lapse of Reason), accompagne l’évolution technologique avec la sortie de The Dark Side of the Moon en SACD, offre aux fans un double album live de The Wall, Is there anybody out there ? le tout couronné par le double album best-of Echoes.
Oubliant leurs vieilles querelles et sous l’impulsion de Bob Geldolf, le Pink Floyd à quatre, avec Roger Waters, se reforme le temps d’un concert pour le Live 8 du 2 Juillet 2005 à Hyde Park. Trêve ou renaissance ? avec une page entière de l’histoire du rock sous les yeux, le public , toutes générations confondues, ne s’y trompe pas : l’émotion est palpable et nous, frenchies, nous demandons bien si notre cher oiseau pourra un jour renaître de ses cendres.
Une biographie certes très longue, mais très complète, qui retrace l'histoire de ce groupe de rock mythique encore très écouté par tous aujourd'hui.
Pour clore le sujet, voici un extrait de "Echoes" live at Pompeii en vidéo. "Echoes" étant considéré comme LE chef d'oeuvre de Pink Floyd ;)
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2 commentaires:
I love this music and your blog...but I don't understand french :(
I'll visit you :D
(L) Pinl Floyd
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